La régionalisation peut-elle constituer une nouvelle relance du tourisme marocain
SawtFesAlBadil / Mustapha Bettache
la Régionalisation peut- elle relancer le tourisme marocain ? Expert en tourisme, l’ex- cadre du Ministère du Tourisme et ancien député Hafid Ouchchag nous livre ici les grandes lignes de son étude ” la Régionalisation peut- elle relancer le tourisme marocain ? ” Un travail de fourmi effectué patiemment et passionnément par un homme qui a apporté beaucoup au développement du secteur malgré les ” couacs ” des responsables qui se sont succédés à la tête du département de tutelle depuis l’aube de notre indépendance en 1956. Membre de l’Association Marocaine des Écrivains et Journalistes du Tourisme, le Dr. OUCHCHAG est appelé a superviser les élections du comité Exécutif de la FIEJT qui auront lieu au mois de Juin 2020 au CAIRE.( Égypte
Les contraintes du développement ont poussé le Maroc depuis son indépendance à mettre en œuvre successivement différentes politiques touristiques qui lui ont permis, chacune à sa façon, d’atteindre le degré de développement touristique qui est le sien actuellement.
Ainsi, Il a eu recours à des politiques d’intervention dans le domaine touristique où l’Etat décidait des programmes de réalisation et mettait en place un éventail d’incitations et d’encouragements au profit du secteur privé.
Il a aussi fait appel à des politiques de partenariat public/privé où des investisseurs étrangers et nationaux avaient eu le libre choix d’orienter leurs programmes en fonction des disponibilités des infrastructures et de la demande des clientèles touristiques…
Après avoir expérimenté la privatisation qui a été à la mode au cours des deux dernières décennies du XXe siècle, le Maroc, sous l’impulsion des professionnels du secteur, a dû concevoir et mettre en marche des politiques globales de développement touristique, à savoir les visions 2010 et 2020, voulant faire de tout le pays une destination touristique de choix .
Jusqu’ici, ce sont des politiques touristiques nationales qui ont été conçues et mises en œuvre par l’Administration centrale pour les différentes parties du territoire national et la régionalisation, aussi bien touristique qu’administrative, en vigueur avant 2015, évoquée à plusieurs occasions, est restée tout simplement théorique, car sans compétences suffisantes, sans ressources et sans outils d’intervention autonomes…
A présent, avec la mise en marche de la nouvelle régionalisation, dite régionalisation avancée, dotée de statut lui conférant plus d’autonomie, plus de compétences dans différents domaines, plus de ressources, plus d’outils d’intervention…, les choses peuvent évoluer autrement et notamment pour le tourisme.
En effet, dans cette perspective nouvelle, les acteurs sont plus nombreux à participer à l’effort du développement, les outils comme les moyens d’action plus efficaces.
Par conséquent, ces nouvelles données apportées par la mise en place de la régionalisation avancée au Maroc sont de nature à poser à juste titre la question suivante concernant le développement ou la relance du secteur touristique au Maroc par le biais de cette restructuration régionale. Telle est la question aujourd’hui en l’absence d’une politique touristique décentralisée, participative, durable et solidaire.
Pour répondre à cette question, il y a lieu d’en examiner les deux points de vue existants en la matière avant de donner une conclusion sur :
- la région touristique conçue par le ministère du tourisme qui reste pour le moment une notion fictive.
- la région administrative adoptée par le gouvernement en application des dispositions constitutionnelles ayant fait l’objet de larges débats à tous les niveaux.
2.1-La région touristique, une entité fictive
La société marocaine d’ingénierie touristique (la SMIT) en charge du volet « aménagement et promotion des investissements touristiques » dans le pays en même temps qu’elle assure le suivi de l’exécution, des réalisations et des projets initiés dans le cadre des visions 2010 et 2020, a adopté la répartition de l’espace marocain en huit territoires touristiques jugés selon ses termes «homogènes et compétitifs à l’international, différenciés et complémentaires ».
A y regarder de plus près, cette répartition est restée un vœu pieu, car la réalité est toute autre.
2-1-1 : Un découpage désordonné
Actuellement, le tourisme au Maroc est concentré à une grande proportion à Marrakech et Agadir et les autres régions du pays ont grandement besoin d’être développées, tant elles recèlent pour cela toutes les potentialités requises.
Le ministère du tourisme et les instances qui en dépendent, (dont la Smit), travaillent donc pour le développement de ces 8 territoires touristiques pour couvrir soit disant tout l’espace marocain.
Mais le découpage de ces régions touristiques semble ne pas reposer sur des critères bien définis et particuliers pouvant constituer une offre touristique spécifique à chaque territoire et attirer les investisseurs et les flux touristiques conséquents.
Le balnéaire, la nature et le culturel, considérés comme traits caractéristiques distinctifs généraux des territoires touristiques marocains, ne sont en fait que des potentialités et ne suffisent pas pour constituer une différenciation de produits singuliers et une diversification de l’offres de chaque territoire.
Ceci apparaît clairement à travers la répartition géographique des territoires touristiques suivante qui n’existe que sur la carte ou tout au plus naturellement dans ces territoires :
Les territoires touristiques se présentent comme suit :
1-Le Cap nord
2-Le Maroc méditerranée
3-Le Maroc centre
4-Le Centre atlantique
5-L’Atlas et les vallées
6-Le Marrakech atlantique
7-Le Souss Sahara atlantique
8-Le Grand sud atlantique
Cette répartition géographique ne repose pas en effet sur des études socio-économiques permettant aux territoires concernés de disposer de moyens matériels et immatériels à même de réaliser par eux-mêmes les objectifs du développement durable souhaités.
Elle n’est pas, non plus, consacrée par des textes lui permettant de jouir des prérogatives et des ressources nécessaires propres à des entités pareilles de droit public.
En plus, elle n’a pas reçu l’adhésion des structures démographiques en place, tant des localités et des communautés peuvent se trouver disloquées ou artificiellement intégrées dans des ensembles qui ne leur sont pas naturels.
S’agissant de produits touristiques, l’Administration du tourisme s’est contentée dans les programmations du développement des territoires de mettre l’accent seulement sur l’existant à savoir le balnéaire, la culture et la nature qui restent des thèmes classiques ne donnant pas lieu à des produits plus spécifiques et plus affinés :
Les produits touristiques des territoires, tels qu’ils sont improvisés :
- Le balnéaire avec la valorisation du littoral atlantique combinant, à partir d’Agadir, le désert, le climat et l’ensoleillement toute l’année ;
- Le balnéaire avec la valorisation du littoral méditerranéen, combinant, à partir de Saidia, les loisirs et le « développement durable » ;
- La porte d’entrée du Maroc représentée par une « offre chique et authentique » symbolisée par Marrakech, le Toubkal et Essaouira ;
- Fès, Meknès et Ifrane représenteraient la destination de la culture, de l’histoire et du bien-être;
- Le Cap nord avec les villes de Tanger, Tétouan, Larache et Asilah combineraient le culturel avec un « balnéaire exclusif » ;
- Le centre atlantique avec Casablanca, Rabat et El Jadida, représentent « la côte des affaires et des loisirs » ;
- Le grand sud atlantique, avec le site de Dakhla constitue une combinaison de produits « nature et sport » ;
- L’atlas et les vallées, par Ouarzazate, les oasis et le Haut atlas offrent un produit basé sur « l’écotourisme et le développement durable méditerranéen ».
Ainsi, une telle présentation de l’offre au niveau de chaque territoire ressemble tout simplement à une monographie descriptive et physique découlant d’une observation à l’œil nu des espaces concernés et donc ne ressort pas d’études socio-économiques approfondies et préalables au découpage territorial et ne définissant pas les projets touristiques différenciés à même d’assurer l’élaboration de cette offre touristique ambitionnée du balnéaire, de la nature ou de la culture…
2-1-2 : Un découpage sans aucun statut légal
Pour qu’une entité territoriale ait une existence réelle et puisse avoir des objectifs légitimes et entreprendre des actions pour les atteindre, il y a des conditions à remplir.
S’agissant des territoires touristiques tels qu’ils sont présentés par l’Administration du tourisme, ceux-ci ont besoin, au minimum, d’être reconnus officiellement et de disposer de moyens d’action et de ressources propres.
Or, dans le cas concret qui est ainsi posé, force est de constater qu’il y a absence de statut approprié consacrant son existence officielle et absence de moyens d’intervention lui permettant d’exécuter ses programmes.
On remarque même que la plupart des territoires touristiques ont des territoires qui sont à cheval, sur deux, trois voire quatre région administratives (voir tableau)
Régions Touristiques
Territoire touristique Cap Nord entre deux régions
Préfectures | Tanger-Assila | Tanger-Tétouan-Alhoceima |
M’diq-Fnideq | Tanger-Tétouan-Alhoceima | |
Provinces | Tétouan | Tanger-Tétouan-Alhoceima |
Larache | ||
Chefchaoun | ||
Fahs-Anjra | ||
Ouazane |
Manque la province d’Al Hoceima
Maroc –Méditerranée : entre deux régions
Préfectures | Oujda Angad | Région de l’oriental |
Provinces | Berkane |
Région de l’oriental
|
Taourirt | ||
Jerada | ||
Nador | ||
Driouche | ||
Guercif | ||
Al hoceima | Tanger –Tétouan –Alhoceima |
Centre Atlantique : entre 4 régions
Préfectures | Casablanca Anfa | Région Casa-Settat |
Mohamadia | ||
Provinces | Mediouna | Région Casa-Settat |
Nouaceur | ||
Sidi bennour | ||
El jadida | ||
Settat | ||
Berrachid | ||
Bensliman | ||
Préfectures | RABAT | Région Rabat-Salé- Kenitra |
Salé | ||
Provinces | Sekhirat-Temara | Région Rabat-Salé-Kenitra |
Khemissat | ||
Kenitra | ||
Sidi sliman | ||
safi | Marrakech-Safi | |
Youssoufia | ||
Khouribga | Beni Mellal – Khenifra |
Marrakech –Atlantique : Entre deux régions
Préfectures | Marrakech |
Provinces | Al Houz |
Chichaoua | |
El kalaa des Sraghna | |
Essaouira | |
Rhamna |
Manque la province de Safi
Souss Sahara Atlantique entre 3 régions
Préfecture | Agadir Ida Outanane | Souss Massa |
Inzegane-Ait Melloul | ||
Province | Chtouka-Ait baha | Souss Massa |
Tiznit | ||
Taroudant | ||
Tata | ||
Guelmim | Guelmim oued Noun | |
Sidi ifni | ||
Tantan | ||
Laayoune | Layoune sakia El Hamra | |
Es smara | ||
Boujdour | ||
Tarfaya |
Grand Sud Atlantique
Provinces | Oued Ed Dahab |
Aouessred |
Maroc centre : entre 2 régions
Préfectures | Fès | Région Fès-Meknès |
Meknès | ||
Provinces | Taounate | Région Fès-Meknès |
Taza | ||
El Hajeb | ||
Ifrane | ||
Moulay Yacoub | ||
Sefrou | ||
Boulmnae | ||
khenifra | Beni Mellal-Khenifra |
Atlas et vallées : entre 3 régions
Provinces | Errachidia | Région Darâa Tafilalt |
Ouarzazate | ||
Midelt | ||
Tinghir | ||
Zagora | ||
Beni Mellal | Région Beni Mellal-Khenifra | |
Azilal | ||
Fquih ben saleh | ||
Figuig | Région de l’oriental |
a-Absence de statut approprié
D’après les réponses au questionnaire adressé aux délégués du tourisme dans le cadre de l’enquête engagée par nos soins, les territoires touristiques n’ont pas d’existence juridique et par voie de conséquence ne peuvent avoir de compétences ou de prérogatives nécessaires pour pouvoir gérer les affaires du tourisme au niveau local.
Dans cette situation, les délégués en charge de ces territoires ne peuvent que faire acte de présence ‘’sans effet’’ dans leur territoire respectif ou au sein de réunions tenues à ce niveau. Leurs actions restent tributaires des directives qui leur sont données par l’Administration centrale et des moyens ‘’réduits’’ qui leur sont délégués.
Il en est de même pour ce qui des autres institutions et organisations de l’échelon local, provincial et régional dont les prérogatives se trouvent encadrées et définies par la loi et donc ne peuvent prendre en considération valablement les territoires touristiques dans leur programmation de développement.
C’est ainsi que malgré que la vision 2020 « née-morte », prévoyait une gouvernance pour chaque territoire touristique, avec des moyens financiers et humains pour la mise en place des « fameuses agences de développement touristique (ADT).
Ainsi les ADT selon cette vision remplaceront progressivement les délégations régionales et provinciales du Ministère du Tourisme, les conseils régionaux du Tourisme (CRT) et les conseils provinciaux du Tourisme (CPT) et auront pour mission la réussite de la régionalisation touristique et s’assurer de la mise en œuvre des stratégies territoriales et un délai de mise en place des ADT devrait se faire en deux phases :
– Fin 2011 création des ADT de Marrakech Atlantique, Souss Sahara Atlantique, Maroc Méditerranée et Maroc centre.
– En 2012 création des ADT de Cap Nord, Centre Atlantique, Grand Sud Atlantique et Atlas et vallées
Mais malheureusement personne n’entend plus parler de ces ADT. C’est un échec et un fiasco total.
b-Absence d’outils d’intervention
Les territoires touristiques mis en place par l’Administration du tourisme n’ont prévu aucune sorte de représentation indépendante des professionnels du Tourisme, syndicats d’initiative ou autres pouvant décider des actions à mettre en œuvre ou au moins contribuer à la conduite et à la supervision des programmes de développement des territoires concernés.
D’ailleurs ils n’ont pas prévu de ressources budgétaires ou autres qui seraient mises à la disposition des organes exécutifs des territoires et donc ces derniers sont inefficaces, voire inexistant et sans aucun effet sur la réalité de l’espace marocain.
Ainsi une représentation des professionnels qui devra exister c’est la Fédération Nationale du Tourisme appartenant à la CGEM (Fédération Générale des Entreprises du Maroc)
Aussi avec la mise en place des Fédérations Régionales du Tourisme, au vu des questionnements légitimes que se posent les professionnels, on se demande si ses territoires sont toujours d’actualité ou devrait on réfléchir en termes de régions administratives entant qu’instrument et outil de développement touristiques.
Par conséquent, une instance représentative à haut niveau (chambre professionnelle du tourisme par exemple) serait à notre avis une meilleure façon de rendre service à ces territoires touristiques dans le cas où ils pourraient être exploités pour le bien du secteur du tourisme…
En conclusion après avoir expérimenté différentes politiques touristiques dont la privatisation qui a été à la mode au cours des deux dernières décennies, on commence à penser à la régionalisation, aussi bien administrative que touristique.
Mais cette dernière est restée tout simplement théorique, car la région touristique est jusqu’à présent sans compétences suffisantes, sans ressources et sans outils d’intervention autonomes.
Aussi, le découpage de ces régions touristiques semble ne pas reposer sur des critères bien définis et particuliers pouvant constituer une offre touristique spécifique à chaque territoire et attirer les investisseurs et les flux touristiques conséquents. Ce découpage s’est concrétisé tout simplement par des tracés sur la carte géographique du Maroc.
En plus, ces territoires n’ont pas reçu l’adhésion des structures démographiques en place, tant des localités et des communautés se sont trouvées disloquées ou artificiellement intégrées dans des ensembles qui ne leur sont pas naturels.
Ainsi, les territoires touristiques ont besoin, au minimum, d’être reconnus officiellement et de disposer de moyens d’action et de ressources propres, et les délégués en charge de ces territoires ne peuvent que faire acte de présence (sans effet) dans leurs territoires respectifs ou au sein de réunions tenues à ce niveau. Leurs actions restent donc tributaires des directives qui leur sont données par l’Administration centrale et des moyens (réduits) qui leur sont délégués.
Les agences régionales du tourisme qui devaient prendre en charge chacun de ces territoires touristiques depuis le début du programme 2010-2020 sont restées lettres mortes à ce jour.
Avec cet état d’esprit, les responsables du tourisme cherchent à se rapprocher des présidents des régions administratives en place pour envisager toute coopération possible, voire des transferts de compétences en la matière et espérer la relance du tourisme à travers les régions administratives justement.
Par conséquent, nous traiterons dans un deuxième article avec détail la région administrative comme levier de développement d’un territoire conçu pour être pérenne et viable.
Dr Ouchchak Hafid